ABLA ET JÉRÉMIE

Les premières fois où Jérémie a discuté avec Abla, il pensait qu’elle s’appelait Adia. Il confondait le l et le i, le b et le d : il ne savait pas pourquoi, peut-être parce qu'il n'avait jamais entendu ce prénom-là auparavant. Quand ils ont commencé à sortir ensemble, ils ont appliqué l’adage « pour vivre heureux vivons cachés » car un français-catho avec une beurette, ça ne passait pas toujours très bien.

Abla a été élevée dans la culture musulmane, Jérémie dans la culture chrétienne. Ils ont appris à respecter la religion de l’autre. Ils veulent que chacun puisse laisser de la place à ses racines, que chacun ait des repères rassurants. C’est aussi ça, une famille : avoir des repères rassurants.

Au début pourtant, Abla n’avait pas dit à sa mère qu’elle sortait avec un non-musulman. Un soir, alors qu’elle croyait sa mère au bled, elle a invité Jérémie à manger à la maison. C’est ce soir-là que la maman a décidé de rentrer plus tôt que prévu. Quand elle a poussé la porte, elle a posé ses valises au sol et elle a vu sa fille au bras d’un grand gaillard.  Jérémie, impressionné, regardait avec attention les pieds de la maman : ils étaient peints au henné. Elle a salué Jérémie et a boudé ensuite. Elle en a voulu à Abla pendant quelques temps ; elle était fâchée que sa fille ne lui ait rien dit.

Abla et Jérémie tentent de respecter certaines traditions religieuses mais ils ont appris à lâcher du lest : ils disent qu'ils font "le tri", qu'ils choisissent ce qu'ils veulent appliquer. Par exemple, ils ne cuisinent jamais de porc, or il y a parfois des bières qui traînent sur les étagères. La maman de Abla, qui, elle, applique les coutumes à la lettre, est contre la consommation d'alcool. Quand elle a remarqué les fameuses bouteilles de bière, elle a fusillé Jérémie du regard. Jérémie sait désormais que c’est parce que Madame la maman veut asseoir son autorité. Au fond, il est persuadé qu’elle lui fait confiance.

Pour Abla et Jérémie, ce qui importe vraiment ce n’est pas tant le nom de la religion : ils croient que ce qui compte surtout, ce sont les valeurs familiales et le partage. Quand Abla et Jérémie ont eu des enfants, il leur a semblé important de leur donner une éducation qui réunirait la culture chrétienne et musulmane. Zacharie et Ismaël ont des prénoms que l’on retrouve dans le Coran et dans la Bible. Comme ça, ils savent d’où ils viennent et ils ont des repères rassurants.

A part ça, un des deux fils d'Abla et de Jérémie rêve de manger un Mac Bacon.