NICOLAS ET ISABEL

Nicolas s’assied à l’arrière de la librairie. Il n’y a pas beaucoup de lumière, l’obscurité est toujours plus propice aux confidences.

Nicolas est journaliste. Il a couvert des conflits dans des régions très dangereuses, il dit qu’il ne peut qu’être reporter de guerre, qu’il ne connaît pas d’autres métiers.
Quand Nicolas a connu Isabel, sa femme, celle-ci savait qu’il prenait des risques pour permettre aux lecteurs d’être informés des actualités mondiales. Isabel a toujours fait confiance à Nicolas. C’est ainsi que le jour où elle a appris que son mari était otage en Syrie, elle n’a pas dérogé à cette règle. Isabel n’a pas douté un seul instant : Nicolas reviendrait.

Avant de se confier sur sa vision de l’amour, Nicolas nous annonce que celle-ci est désincarnée. Puisqu’il a passé dix mois enfermé, il n’a pas vu l’ombre d’une seule silhouette féminine, il n’a pas même croisé le regard d’une femme voilée.

Méthodiquement, Nicolas définit alors trois manières d’aimer : il y a l’amour d’un enfant pour ses parents, l’amour au sein d’un couple, et l’amour que l’on ressent pour ses propres enfants. Bien que chacune de ces amours soient différentes, elles sont complémentaires et indispensables : les relations filiales peuvent être conflictuelles, la frustration se ressent dans le couple si personne ne s’y accomplit vraiment… et l’on peut être très malheureux si l’on n’a pas de relation avec ses enfants.

Pendant ces dix mois de captivité, Nicolas a pris conscience de ce qu’il nomme l’amour complet : il n’a jamais été autant amoureux de sa femme, il n’a jamais été autant en phase avec ses parents et jamais il n’a autant pensé à ses deux enfants. Cela l’a maintenu et lui a permis d’espérer, même si son ventre se tordait de penser à leur inquiétude, au manque et à l’incertitude. Il s’en voulait pour toutes les engueulades. Il dit que l’on s’ennuie beaucoup ainsi détenu, alors on réfléchit énormément.

Quand il est « revenu à la vie », Nicolas a été heureux de voir que ses proches ont tous réagi de la meilleure manière : chacun a été bon, fort, chacun a su trouver les ressources nécessaires.

Aujourd’hui, Nicolas raconte des histoires à ses enfants, il leur a écrit un livre pour leur expliquer qu’un « papa hérisson » rentre toujours à la maison. La vie a repris son cours, et, Nicolas à ses côtés, c’est Isabel qui conclut : « On a déjà vécu le pire, les beaux jours sont devant nous. »