AGATHE ET JEAN-PIERRE

Alors qu’il était encore étudiant en médecine, Jean-Pierre revêtait souvent la blouse blanche d’infirmier de nuit afin d’arrondir ses fins de mois. Un soir, dans un des services, il était impossible de poser une perfusion à un patient. Il a donc fallu appeler de l'aide… Dans les longs couloirs jaunis de l’hôpital, Agathe est apparue, ses cheveux presque orange troublant la lumière artificielle… et troublant Jean-Pierre, de surcroît.

Agathe et Jean-Pierre sont sortis ensemble en secret pendant plusieurs mois, travaillant côte à côte comme si de rien n’était. Ils souhaitaient rester discrets et crédibles au boulot, et surtout éviter d’en entendre des vertes et des pas mûres sur leur couple. Cela n’a pas duré longtemps, puisqu’une collègue a très vite découvert le pot aux roses et l’a répété à tout le service. Parce que tout le monde était au courant et qu’il ne servait plus à rien de se cacher, Agathe et Jean-Pierre ont emménagé ensemble pour vivre la vie en rose.

Agathe n’était pas rassurée : longtemps, elle avait broyé du noir en amour. Elle pensait que les romances finissent toujours par se faner, qu’il n’existe pas de prince charmant et que les hommes n’ont jamais un cœur d’or. Elle avait une peur bleue de l’infidélité, de la rupture, et elle est ainsi longtemps restée sur la défensive. Or, Jean-Pierre a su la rassurer, lui montrer qu’il n’y a pas de règles en amour et qu’il n’y avait aucune raison pour que leur idylle s’achève un jour. Alors avec le temps, Agathe a cessé de faire grise mine et s’est trouvée de plus en plus forte, amoureuse et assurée.

La vie avec Jean-Pierre est haute en couleurs : Agathe n’a jamais visité le Togo, elle n’en connaît les lumières et les ombres qu’à travers les récits de son mari, mais cela lui permet de saisir les différences culturelles auxquelles ils font face. Elle ne comprend pas toujours les traditions, les codes propres au peuple africain. Jean-Pierre répète alors les histoires que lui racontait son père. Il rapporte aussi des nouvelles après les visites qu’il rend à ses oncles, là-bas, au village. Jean-Pierre a déjà emmené deux de ses fils avec lui au Togo, afin que ceux-ci sachent où a grandi leur grand-père, et qu’une partie d’eux vient de là-bas.

Sur les murs de la maison d’Agathe et Jean-Pierre, on trouve des tableaux rouges, jaunes, verts ou bleus, peints par Agathe. Ils représentent cette culture africaine et elle a même dessiné la grand-mère de Jean-Pierre. Ce portrait nuancé pose un regard bienveillant sur la famille, fière des différences. Agathe et Jean-Pierre rappellent à leurs fils qu’ils sont riches de leur métissage, des histoires qu’on leur raconte, des valeurs qu’on leur inculque : celles propres à leurs ancêtres à la peau noire comme l’ébène et celles de leurs aïeux aux cheveux roux comme le feu.