FRED ET SOLVEIG

Le jour où Fred et Solveig ont décidé d’être parents, leur vie à deux avait déjà été riche en surprises et en tendres souvenirs. Il y avait eu leur rencontre sur la plage des vacances, les sacrifices pour se retrouver une fois l’automne revenu, des centaines de concerts, l’appartement douillet sous les combles, les balades à vélo... Autant d’anecdotes qui seraient de belles histoires à raconter à leurs enfants pour les endormir le soir.
 
Or, toute la bonne volonté du monde ne suffit pas pour que les bébés naissent dans les roses, et très vite, Fred et Solveig ont réalisé qu’ils devaient faire appel à la médecine pour espérer apprendre le tricycle à une petite tête blonde.
 
Ils ont alors écumé les salles d’attente et les laboratoires ; ils ont découvert qu’il existe sur cette terre des traitements médicamenteux aux noms longs comme des mots allemands, que les problèmes de stérilité demandent beaucoup d’analyses et de patience pour recevoir les résultats et il a fallu ne pas être pudique et faire observer des sécrétions intimes au microscope et surtout comprendre qu’il ne faut pas se chagriner, qu’il y a des solutions et que, si le corps de Madame est un peu réticent à porter un enfant, il faut continuer à essayer. Alors, on a demandé à Fred et Solveig d’avoir du courage et de multiplier les rapports sexuels plutôt que de faire l’amour pour de bon ; puis on les a priés d’être conscients que la science est au final très incertaine et qu’il risquerait d’y avoir plus d’un bébé si le cocktail de biologie portait ses fruits.
 
Ça a été un parcours long et fastidieux, un peu comme quand les phrases n’ont ni point ni virgule. Il a fallu deux ans et demi pour que Solveig voie enfin son ventre s’arrondir. Fred l’a accompagnée pour la première échographie. Voilà, ils avaient tenu bon et elle était enceinte. Mais la science avait trop bien fait son boulot: il y avait deux embryons. Fred et Solveig ont d’abord eu le vertige, et puis un soir, après un dîner sous les lampions tamisés d’une guinguette, ils se sont réjouis de devoir aller à l’hôpital pour mettre au monde Billie et June.
 
Dans cet ordre là, parce que Billie et June, ça sonne mieux que June et Billie.
 
Lorsque Solveig fait du vélo avec Fred et qu’elle a du mal à grimper une pente un peu trop raide, Fred arrête de pédaler, laisse Solveig crier un bon coup, puis ils reprennent leur ascension de plus belle.